Le design italien
« Tout le monde vérifie bien les offres qu’il a. Parce que ça va être sportif » commente plus que n’ordonne une des spécialistes présentes à la vente aux enchères où je m’installe. Au 118 rue du Faubourg Saint Honoré, dans une pièce immaculée, la prestigieuse maison Piasa organise une vente formellement nommée « Design italien ».
Dans toutes leurs diversités, les 330 lots qui composent la vente s’étalent sur 80 ans d’Histoire. L’endroit prend des airs de cérémonie, normal, ce qui se joue sous mes yeux durant plusieurs heures est digne d’une pièce de théâtre. Tant dans les gestes du commissaire-priseur, que dans les répliques des spécialistes ou l’accoutrement des acheteurs. Chic, vive, imposante, rapide, la vente permet de passer en revue les plus grands designers italiens, de Gino Sarfatti à Carlo Scarpa en passant par Pierluigi Ghianda ou Ettore Sottsass.
C’est d’ailleurs ce dernier qui a bousculé avec panache et humour le règne (qu’on jugeait excessif) du design Scandinave. Le monde de la décoration (donc le grand public plus que les connaisseurs) tourne enfin son regard vers l’Italie, sous le charme de leur période bariolée, humoristique, revendicatrice. Cette vente en est un avant-goût exemplaire. Il n’y a qu’à voir le frémissement qui s’installe lorsque l’écran qui déroule les lots affiche les meubles de la période Memphis – fameux moment où Ettore Sottsass, en 1980, décide de secouer les conventions et le minimalisme du Bauhaus qui sévit alors sur le monde du design.
Le commissaire-priseur annonce à ses collègues : « Vous avez vos téléphones car c’est maintenant ? » Les chuchotements se font plus audibles, les dos se redressent, les spécialistes sont tous accrochés à leurs téléphones. Les lots se succèdent rapidement, les enchères montent progressivement, personne ne perd de temps pour acquérir la table Brasil de Peter Shire à 5800 €, les chaises Nathalie du Pasquier entre 1400 et 1500 € ou la célèbre bibliothèque de Sottsass à 9000 €. C’est moins que le prix de leurs rééditions actuelles par Memphis Milano. Et à force de regarder passer les enchères, de voir la passion dans les yeux des amateurs comme des professionnels, le sourire de ceux qui enchérissent une dernière fois pour entendre le marteau clôturer la vente, j’en viens à la conclusion qu’évidemment, il nous faut succomber au design italien.
Si la tendance et le retour de l’esprit Memphis aux codes très 1980 n’emplit pas tous les fans de décoration de joie, le reste des réalisations italiennes obtiennent plus facilement l’unanimité. Il suffit d’ailleurs d’admirer le lot 213 : la lampe Bilia (ci-dessus) de 1931 par l’architecte et designer italien Gio Ponti pour comprendre l’influence qu’a eu cette école sur le reste de l’Europe. Difficile de faire plus moderne. Ou les bibliothèques de Gianfranco Frattini (ci-dessus) créées vers 1960, autoportantes, pivotantes et modulables.
Il y a chez ces génies du design une approche toujours ludique, très technique mais également novatrice. Mon voisin a tout d’un homme d’affaire très occupé, deux portables posés à sa droite, il consulte méthodiquement les pages du catalogue pour observer les lots. Quelques post-its semblent indiquer les lots pour lesquels il est ici. Un des lots en question est annoncé, ce sont des sculptures, l’homme au costume gris est sur la page au post-it, il lève sa pancarte pour indiquer qu’il enchérit. Jusqu’à la fin, continu et appliqué, il ne lâche rien. Le coup de marteau semble enfin le soulager, le rassurer, un sourire inattendu l’illumine. Sans doute la magie du design italien.
Source : elle.fr/Deco